Cambodge

Des moqueries aux médailles: Marquer pour les droits des femmes

Kimleang

Battambang, Cambodge

« Maintenant je marche la tête haute (…) parce que je sais qui je suis »

Mon nom est Kimleang Chonran, j’ai 19 ans et j’habite à Battambang. Depuis l’âge de 14 je fais partie d’une équipe de football féminine, les Mighty Girls, une des équipes de football féminine les plus connues au Cambodge. Je suis capitaine de l’équipe. Mon profil est assez inhabituel pour une fille au Cambodge. Je suis éduquée et je joue au football. J’espère que mon histoire pourra inspirer d’autres jeunes filles et femmes.

Ça n’a pas toujours été facile que ma famille et ma communauté acceptent mes choix. Parfois, les jugements acerbes des autres me faisaient beaucoup de mal, au point même de pleurer. Mais toutes les difficultés que j’ai dû surmonter ont fait de moi une personne plus forte. Maintenant, je marche la tête haute et le sourire aux lèvres. Je ne me laisse plus atteindre par les jugements et remarques désagréables des uns et des autres. Leurs mots ne m’atteignent plus, parce que je sais qui je suis.

Je suis actuellement en Terminale et d’ici peu je passerai mon examen final. Je poursuivrai ensuite mes études à l’université à Phnom Penh pour étudier les Relations Internationales.

C’est assez rare pour une fille au Cambodge de continuer ses études après le lycée et loin de sa famille et de sa communauté. J’ai dû convaincre ma famille. Au début, ils n’étaient pas d’accord pour me laisser partir, ils s’inquiètaient pour ma sécurité parce que je suis une fille. Je sais que je suis chanceuse de pouvoir avoir une éducation et d’aller à l’université. Normalement, les jeunes filles de familles pauvres, comme moi-même, quitte l’école jeunes, se marient ou commencent à travailler pour aider financièrement leurs familles.

Mes parents croient aussi que la place d’une femme est à la maison mais ils pensent également que si dans le futur ils se retrouvent incapables de pouvoir nous aider financièrement, seul le savoir et l’éducation nous permettra d’avoir de bons emplois et une bonne vie. Ils veulent que leurs enfants sachent se débrouiller par eux-mêmes et surmonter les difficultés de la vie. Parfois, ils me laissent me débrouiller face à un problème pour que j’apprenne à le régler par moi-même et que je devienne plus forte. Alors, même s’ils n’aiment pas l’idée de me savoir loin d’eux, vivre seule dans la capitale, ils comprennent quand même l’importance que cela représente pour mon avenir.

 « [Les garçons] venaient assister à nos entraînements et à nos matchs de football pour rire et se moquer de nous. C’était douloureux »

J’ai grandi avec quatre frères et sœurs. Nous étions pauvres. Mon père était soldat et ma mère femme au foyer, elle travaille aussi un peu à la ferme. Mon père avait de gros problème d’alcool et frappait ma mère. Cette période de ma vie a été très douloureuse. Mes frères, sœurs et moi avions souvent pensé à quitter l’école pour aider notre famille. Certains l’ont fait mais moi j’ai continué. Si je n’avais pas joué au football je pense que j’aurai arrêté l’école.

J’ai commencé à jouer au football pour m’amuser. Au début, je n’avais pas réalisé ce que le football pouvait représenter pour moi. J’avais très peur de jouer et les garçons n’étaient pas très chaleureux avec nous. Ils pensaient que nous n’étions pas capable de  jouer aussi bien qu’eux. Beaucoup ont essayé de nous empêcher de jouer. Ils nous disaient que jouer au football allait nous bronzer la peau et que nous ne serions plus jolies, ou que notre corps allait devenir gros et musclé et que ce n’était pas bien pour une fille. Ça faisait mal de les entendre se moquer de nous mais on a continué à s’entrainer.

Quand j’ai demandé à mes parents si je pouvais jouer au football, ils ont d’abord refusé. A cette époque, je prenais des cours de danse traditionnelle Khmère. Ils n’aimaient pas ça non plus. Je leur ai parlé et nous avons passé un accord. J’arrêterai la danse s’ils me laissaient jouer au football. Ils n’étaient pas enchantés par l’idée que leur fille joue au football mais ils détestaient tellement la danse qu’ils ont accepté.

Nos voisins ont beaucoup critiqué la décision de mes parents et ont essayé de les influencer en disant que le football n’était pas un sport de fille et qu’un terrain de football n’était pas un endroit pour une fille respectable.

A l’âge de 14 ans, j’ai rejoint une organisation à Battambang qui offre un programme d’émancipation des femmes par le football. Lorsque nous avons constitué une équipe de football féminine, les garçons étaient réfractaires à cette idée, et méchants envers nous. Ils venaient assister à nos entrainements et à nos matchs de football pour rire et se moquer de nous. C’était douloureux. On pouvait sentir à quel point on les dégoûtait, on sentait à quel point ils détestaient nous voir jouer au football. Ils cherchaient à nous faire du mal, émotionnellement.

 « Maintenant les choses ont beaucoup changé (…). Ils veulent tous jouer contre nous »

Maintenant les choses ont beaucoup changé. On a gagné leur respect parce qu’on a gagné beaucoup de championnats de football, nationaux mais aussi internationaux. L’année dernière, par exemple, on a remporté la coupe du championnat national de football féminin. Maintenant, ils nous admirent et nous complimentent. Je pense que nous leurs avons prouvé à quel point les filles pouvaient être douées sur un terrain de football et ça a complétement changé leurs opinions sur nos capacités physiques.

C’est assez drôle car au début, quand notre équipe était encore jeune et peu connue, on cherchait à jouer contre les équipes masculines pour pouvoir s’entrainer, parce qu’il n’y avait pas d’autres équipes féminines contre qui jouer, et bien sûr ils refusaient toujours. Mais maintenant on a plus besoin de demandé, ils veulent tous jouer contre nous. Ils appellent directement notre coach et on doit parfois refuser parce qu’on a trop de demandes ! Notre niveau de jeu est aussi bon que le leur, voir meilleur. On gagne souvent. Les garçons ont appris à nous accepter sur le terrain de football, à nous respecter et à apprécier notre valeur en tant que joueuses de football et en tant que femmes.

« Je sais que les femmes, peu importe où elles vivent, subissent discriminations et inégalités (…) Je sais que ce n’est pas un problème unique au Cambodge »

Je mène aussi des activités sportives dans les communautés défavorisées de Battambang et également, parfois dans d’autres provinces du Cambodge. Au travers d’activités sportives et de jeux basés sur le football, on apprend aux enfants de communautés défavorisées des notions importantes sur des sujets comme l’hygiène, le Sida et les MST, l’égalité des genres, l’importance de l’éducation, les droits des femmes, etc. Chaque semaine, j’entraîne aussi une équipe à Battambang.

Ces activités sont très importantes pour moi car ces enfants-là n’ont pratiquement rien. La plupart ont une vie très difficile alors qu’ils ne sont encore que des enfants. Je suis heureuse de pouvoir apporter un peu de lumière dans leur vie. La vie est dure pour eux, j’espère que je les aide un peu.

J’espère être un modèle à suivre pour eux. Je voudrais tant encourager les jeunes filles et les femmes au Cambodge et dans le monde à s’émanciper. Je sais que les femmes, peu importe où elles vivent, subissent discriminations et inégalités, peut être que nos problèmes sont différent d’un endroit à un autre mais ils existent quand même, et ce de partout. Je sais que ce n’est pas un problème unique au Cambodge.

Je crois que si nous voulons changer les choses nous devons continuer à nous exprimer, à faire entendre notre voix, à partager nos idées. Ainsi, tous ensemble, nous pourrons améliorer la condition des femmes. Je crois que nous devons nous unir pour rendre le monde meilleur.

 « Nous ne sommes pas autorisées à rêver, à choisir notre vie et qui l’on veut devenir de manière égale »

En tant que cambodgienne et de ce que j’ai pu voir, je dirais que la plupart du temps les femmes ne sont pas en sécurité. La situation est inégale que ce soit à l’école, à la maison, dans le domaine des sports, en politique, dans médias, etc. Nous ne sommes pas autorisées à rêver, à choisir notre vie et qui l’on veut devenir de manière égale.

Dans mon village, comme dans tant d’autres au Cambodge, il y a beaucoup de garçons et d’hommes qui boivent ou qui prennent des drogues. La plupart ne vont plus à l’école et traînent dans les rues en cherchant des problèmes. Quand on marche sur les routes de campagnes, on en rencontre souvent et ils nous font nous sentir tellement mal à l’aise. Il arrive souvent que les filles se fassent attaquer sur le chemin de l’école. Je sais aussi que bien trop de filles sont victimes de viol dans mon pays. Ça ne m’ait jamais arrivé, heureusement.

Si jamais une chose pareille devait m’arriver, je pense que je saurai comment chercher de l’aide et une protection parce que j’ai des connaissances. Je sais comment le système fonctionne. Ce n’est pas le cas pour les autres jeunes filles et femmes qui n’ont pas eu d’éducation, elles ne connaissent pas leurs droits et elles craignent de se rendre à la police pour porter plainte. Une des choses à savoir pour les comprendre c’est qu’elles sont effrayées que les gens puissent savoir qu’elles ont eu des relations sexuelles, même si évidemment ça s’est passé sans leur consentement, car les gens trouveront un moyen de porter la faute sur elles. Elles sont souvent gênéesd’en parler même si elles sont clairement victimes.  (voir l’article sur le viol au Cambodge). De plus, quand une fille est violée ou attouchée sexuellement et que la communauté est au courant, la fille sera rejetée par la communauté et ne sera plus considérée comme une fille respectable et elle aura du mal à trouver un mari. Enfin, la deuxième principale raison qui pousse une victime de viol à se taire et à ne pas chercher d’aide est due à la corruption dans notre système.  Si une victime de viol a assez d’argent alors elle pourra porter l’affaire devant un juge et faire condamner l’auteur du crime. Mais pour les familles pauvres, l’accès à la justice est pratiquement impossible. Les victimes préfèreront alors se taire.

Toutes les filles et les femmes au Cambodge sont victimes de discriminations et traitées inégalement par rapport aux hommes, mais certaines sont plus armées que d’autres pour se défendre.

« Comparer nos pays et nos situations c’est très important parce que ça nous pousse à analyser notre propre situation et à trouver des solutions ensemble »

Grace au sport j’ai gagné en confiance en moi, ce qui m’a permis de pouvoir représenter mon pays à l’étranger. J’ai beaucoup voyagé et grâce à ces voyages j’ai pu rencontrer des filles et des femmes qui m’ont inspiré à me battre pour améliorer la condition des femmes au Cambodge. J’ai voyagé dans le cadre de compétitions sportives mais aussi pour représenter les femmes du Cambodge dans des évènements internationaux.

J’aime partager mes expériences et mes connaissances avec des personnes venues d’ailleurs. En rencontrant des personnes d’horizons différents j’ai appris que les personnes venant de pays développés ont tendance à penser que les cambodgiennes sont des victimes, ayant peur de s’exprimer pour changer leur société et faire respecter leurs droits. Et les personnes de pays en développement ont, eux, tendance, à penser que les cambodgiennes sont plus chanceuses que les femmes de leurs pays.

Tout dépend de l’angle d’approche. D’un endroit à un autre, d’une personne à une autre, la condition des femmes cambodgiennes sera analysée différemment. Mais pour la plupart, ils ne savent pas exactement ce que les filles et les femmes au Cambodge subissent, ils ne savent pas non plus tout ce que nous faisons pour améliorer notre situation.

Comparer nos pays et nos situations c’est très important parce que ça nous pousse à analyser notre propre situation et à trouver des solutions ensemble. Ça développe notre façon de penser et ça nous pousse à la réflexion. Ça nous permet d’être initiées à de nouvelles approches pour lutter contre les discriminations de genre et favoriser l’émancipation des femmes. Toutefois, on ne doit pas oublier que nous sommes, d’une certaine manière, toujours plus chanceuses que d’autres. On doit se souvenir qu’ailleurs la situation est plus difficile pour les filles et les femmes.

Alors, j’élève ma voix pour toutes celles au Cambodge qui ne sont pas encore prêtes pour le faire.

 

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